Détails produit
Sonate n° 2 en fa diÚse mineur op. 13
Sonate n° 3 en do mineur op. 19
Sonate n° 4 en do mineur op. 27
11.Allegro con brio
Ingénieur du son : Jean-Marc Laisné.
EnregistrĂ© Ă LâHeure bleue*, Salle de musique, La Chaux-de-Fond, Suisse,
les 25, 26, 27 janvier et le 7 avril 2009.
Piano : Steinway (Regamey).
Livret : Pascal Ianco.
AR RE-SE 2009-2
Miaskovsky ou LâExil intĂ©rieur
NikolaĂŻ Miaskovsky voit le jour en 1881, dans une Europe agitĂ©e que Marcel Gauchet dĂ©crit comme « le cratĂšre des annĂ©es 1880-1914 ». Comprenons aussi ce mot dans son acception alchimique : câest dans ce creuset que sâĂ©laborent et sâassemblent les Ă©lĂ©ments qui constitueront le XXe SiĂšcle. Gestation particuliĂšrement difficile pour la Russie : cette mĂȘme annĂ©e 1881, le Tsar Alexandre II meurt dans un attentat Ă la bombe, et les premiers pogroms annoncent des massacres dâune toute autre ampleur. Pendant lâenfance du compositeur se met en place le systĂšme dâalliances qui mĂšnera Ă la PremiĂšre Guerre Mondiale et, avant mĂȘme 1914, manquera plusieurs fois de mettre le feu aux poudres. La Russie, en plein dĂ©veloppement industriel, bĂ©nĂ©ficie dâinvestissements Ă©trangers considĂ©rables, dont les fameux emprunts russes. DâoĂč lâĂ©mergence dâune classe ouvriĂšre, qui sâaccompagne des conflits sociaux propres aux sociĂ©tĂ©s industrialisĂ©es : la premiĂšre grande grĂšve russe Ă©clate dans les usines de coton dâOrekhovo-ZouiĂ©vo en 1885.
Lorsquâil termine ses Ă©tudes, en 1911, Miaskovsky, officier du GĂ©nie (tout comme son pĂšre, gĂ©nĂ©ral atypique et pacifiste), a dĂ©jĂ quittĂ© lâarmĂ©e pour se consacrer entiĂšrement Ă la musique. Il nâexerce sa nouvelle profession que peu de temps. MobilisĂ© en 1914 et envoyĂ© sur le front, le compositeur est lâacteur et le tĂ©moin horrifiĂ© du premier conflit mondial. BlessĂ© dans son Ăąme et dans sa chair â il est victime dâune commotion cĂ©rĂ©brale â, il assiste, sur les champs de bataille, Ă la naissance dâun siĂšcle dont il Ă©prouvera toute la brutalitĂ©. AprĂšs la chute du Tsar et jusquâen 1918, Miaskovsky sert Ă lâĂ©tat-major soviĂ©tique, plus par patriotisme que par conviction politique, -semble-t-il. Tragique paradoxe : la mĂȘme annĂ©e, son pĂšre est abattu sur un quai de gare par un soldat rĂ©volutionnaire.
La guerre civile sâachĂšve en 1921 sur la dĂ©faite des Russes blancs et la prise du pouvoir total par les Soviets. AprĂšs les errements et les expĂ©riences Ă©conomiques catastrophiques du dĂ©but de lâĂšre communiste, la NEP (Nouvelle Ăconomie Politique) semble annoncer un retour au rĂ©alisme et Ă la prospĂ©ritĂ©. Lâexistence de Miaskovsky Ă©volue au mĂȘme rythme que celui de sa nouvelle patrie. Cette mĂȘme annĂ©e 1921 (1919, selon certaines sources), nommĂ© professeur au Conservatoire de Moscou, il sâinstalle durablement dans son existence de compositeur et de professeur. La jeune RĂ©volution soviĂ©tique lui donne-t-elle lâespoir dâune sociĂ©tĂ© plus juste, plus libre, dâun monde ayant pris un nouveau dĂ©part « dans lâaffection et les bruits neufs » ? La nouvelle sociĂ©tĂ©, malgrĂ© ses travers, est un lieu dâexpĂ©rimentations artistiques et sociales, un Ă©norme bouillonnement culturel. On sait ce quâil en adviendra une fois Staline arrivĂ© au pouvoir : aprĂšs les Koulaks â paysans « possĂ©dant leur propre outil de production », et opposĂ©s Ă la collectivisation â, la nouvelle classe bourgeoise nĂ©e de la NEP est exterminĂ©e, les avant-gardes sont mises au pas, et le « rĂ©alisme adaptĂ© au Socialisme » devient la doctrine officielle du rĂ©gime. LâannĂ©e 1930, qui marque lâavĂšnement dĂ©finitif du Totalitarisme, voit en mĂȘme temps le suicide du poĂšte Vladimir MaĂŻakovsky, qui incarnait lâutopie avant-gardiste, et la crĂ©ation du Goulag.
Est-ce de cette pĂ©riode que date ce que le musicologue Michael Segelman appelle « lâexil intĂ©rieur » de Miaskovsky ? Car face Ă la tragĂ©die de lâHistoire, le compositeur se souvient peut-ĂȘtre des conseils paternels : « Lâunique forme de libertĂ© que je reconnaisse, Ă©crit le gĂ©nĂ©ral Ă son fils, câest la victoire sur soi-mĂȘme. [âŠ] Seul le Christ nous a montrĂ© ce [que le mot « LibertĂ© » signifie] : se dompter soi-mĂȘme, se dĂ©passer. Travaille dans cette direction, et tu seras libre. ». Il est encore difficile dâaffirmer quoi que ce soit sur les convictions religieuses du compositeur. Mais les tĂ©moignages attestent quâau minimum, il adopta ce quâon pourrait appeler une « philosophie du retrait » ; celle qui consiste Ă se vaincre soi-mĂȘme, Ă ĂȘtre dans le monde sans ĂȘtre du monde et Ă compenser les forces extĂ©rieures et tragiques par la force intĂ©rieure. Ce dĂ©tachement, cette hauteur de vue dont tĂ©moigne toute son existence, fera du compositeur la conscience morale de sa profession.
De hauteur morale, il en aura fallu beaucoup Ă Miaskovsky pour supporter les persĂ©cutions de 1948 lancĂ©es par Jdanov contre les compositeurs soviĂ©tiques les plus en vue, parmi lesquels Chostakovitch, Prokofiev et Miaskovsky lui-mĂȘme. Jdanov, lâhomme de la fameuse doctrine, et qui porte la double casquette, tragique et surrĂ©aliste, de Ministre de la police et de la culture, les accuse de Formalisme â autrement dit, de se livrer Ă des recherches musicales « petites-bourgeoises et contre le Peuple ». Il dresse les musiciens terrorisĂ©s les uns contre les autres. LâUnion des Compositeurs est une Union SoviĂ©tique en miniature. On y applique tout autant les directives les plus absurdes, on sây mobilise pour rĂ©soudre des contradictions inventĂ©es de toutes piĂšces, on sây dĂ©nonce mutuellement pour sauver sa situation, ou tout simplement sa peau. Dans toute lâUnion SoviĂ©tique, comme dans celle des compositeurs, rĂšgnent lâangoisse et le mensonge (1). Jusquâau sommeil, qui fuit : Chosta-kovitch, comme beaucoup de ses compatriotes, sa valise prĂ©parĂ©e au pied de son lit, se couche tout habillĂ© et passe ses nuits Ă Ă©pier le moindre bruit en attendant une arrestation qui, pour lui, nâarrivera jamais. Comme Macbeth, Staline veille. Ce nâest certes pas la conscience de son acte ou la culpabilitĂ© qui le tiennent Ă©veillĂ© : il occupe ses nuits Ă dresser la liste de ses victimes.
Miaskovsky ne se prĂȘte pas au jeu des persĂ©cuteurs. Il refuse de faire son autocritique, publiquement ou par Ă©crit, et dâassister aux « rĂ©unions des compositeurs et musicologues moscovites » comme aux sĂ©ances dâhumiliations publiques organisĂ©es au Conservatoire devant les Ă©lĂšves.
JusquâoĂč peut-on pousser le dĂ©tachement ? Les deux guerres mondiales, le spectacle de la sociĂ©tĂ© soviĂ©tique dĂ©vorant absurdement ses enfants, purge aprĂšs purge, cercle aprĂšs cercle, au nom de la marche inflexible de lâhistoire (Staline offre-t-il ses compatriotes en holocauste pour mieux conjurer la mort, lui qui a Ă©crit « quâil nây a quâelle qui gagne » ?), les persĂ©cutions de cette annĂ©e 1948 et la perversion des liens humains quâelles entraĂźnent auront certainement affectĂ© la santĂ© dĂ©faillante du compositeur, qui sâaltĂšre dramatiquement. Il sâĂ©teindra deux ans plus tard, entourĂ© des siens, le 8 aoĂ»t 1950.
Humainement comme politiquement, Miaskovsky fut essentiellement un modĂ©rĂ©. En tant que tel, il nâa sans doute jamais totalement adhĂ©rĂ© au dĂ©terminisme historique, aux « lendemains qui chantent », et encore moins Ă lâavĂšnement « matĂ©riel » dâun homme nouveau (et dâune langue musicale nouvelle qui en aurait Ă©tĂ© le corollaire). Avant mĂȘme que Staline nâĂ©limine toute trace dâavant-gardisme en URSS, sa pente naturelle lâaura probablement incitĂ© Ă cultiver et prolonger le langage classique. La symphonie est sa forme de prĂ©dilection. Elle lui permet de raffiner un artisanat Ă©prouvĂ©, et de garder toute son attention Ă capter sur le papier Ă musique les vibrations les plus subtiles Ă©manant de lâ « homme intĂ©rieur », prĂ©cisĂ©ment. Cela ne fait pas pour autant de lui un « antimoderniste ». Il a analysĂ©, commentĂ© et enseignĂ© Ă ses Ă©tudiants, les Ćuvres de Debussy, Ravel, Scriabine, Stravinsky, Strauss, Schoenberg, et a explorĂ©, pour son propre compte, certains des territoires quâils avaient ouverts.
A vrai dire, pour un temps, Miaskovsky dĂ©veloppa lui aussi une syntaxe musicale trĂšs avancĂ©e, dont tĂ©moignent les DeuxiĂšme, TroisiĂšme et QuatriĂšme Sonates enregistrĂ©es ici. Ćuvres-cratĂšres, qui nâont rien Ă envier aux Ćuvres pour piano de Prokofiev, de Rachmaninov ou de ses contemporains occidentaux. Lydia Jardon en dĂ©crit la puissance, la profusion et le pianisme intimidant qui semble excĂ©der nos limites â serait-il destinĂ© Ă un « homme nouveau » ? VoilĂ , ajoute lâinterprĂšte de ce disque, une « musique du courroux ». Câest bien de colĂšre dont il sâagit ici, symbolisĂ©e musicalement par le Dies Irae (2) qui sous-tend lâentiĂšre DeuxiĂšme Sonate (1912) â et par une fugue finale dont le thĂšme Ă©chevelĂ© semble atteint de folie dĂ©sespĂ©rĂ©e.
Les DeuxiĂšme et TroisiĂšme Sonates, qui sont en un seul mouvement et ne bĂ©nĂ©ficient pas, contrairement Ă la QuatriĂšme, de la dĂ©tente relative dâun mouvement lent, donnent lâimpression dâun dĂ©sarroi absolu et sans issue. Elles semblent dâailleurs commencer par la mĂȘme phrase Ă©perdue, dite diffĂ©remment. Les trois sonates ont dâailleurs en commun de sâouvrir â et parfois de se conclure â par un geste musical forcenĂ©, sorte de coup de poing rageur sur le clavier. Elles sont comme les trois versions dâune mĂȘme Ćuvre, Ă chaque fois plus radicale, et partagent, au sein dâune pensĂ©e architecturale trĂšs forte, lâexploration extrĂȘme de registres, dâextraordinaires passages piano frisant la dissolution tonale ou psychologique, une Ă©criture motivique obsessive et monomane, le ressassement croissant et panique des idĂ©es, des codas assĂ©nĂ©es comme Ă coup de marteau, et cette lutte forcenĂ©e de la main droite et de la main gauche se renvoyant perpĂ©tuellement thĂšmes et motifs dans la plus grande violence, et qui semble le combat dâune Ăąme contre elle-mĂȘme. Notons que, signe dâespoir et symptĂŽme de rĂ©solution des conflits, cette « Trilogie de la colĂšre » que sont les DeuxiĂšme, TroisiĂšme et QuatriĂšme Sonates, sâachĂšve (dernier mouvement de la QuatriĂšme Sonate) dans une humeur tout aussi sauvage, mais cette fois joyeuse et bondissante.
Dâailleurs, contre quoi serait-elle courroucĂ©e, cette musique ? Un critique musical soviĂ©tique aurait pu rĂ©pondre : « contre un ordre social vermoulu, vieille mue dont un monde neuf doit sâextraire ». Gageons que ce dont veut se dĂ©barrasser Miaskovsky, câest de lui-mĂȘme, de lâhomme ancien quâil faut « dompter » et « dĂ©passer », selon les prĂ©ceptes paternels, « pour ĂȘtre libre ». Car si les Ćuvres que nous venons dâĂ©voquer ont rĂ©ellement quelque chose Ă voir avec le monde intĂ©rieur de leur auteur, que peut faire ce dernier, afin de ne pas y succomber, de dĂ©passer des tensions dâune telle violence et, renversant la donne, de trouver la paix intĂ©rieure ?
Perspective spiritualiste sur lâHomme nouveau, que lâidĂ©ologie communiste a considĂ©rĂ© sous lâangle matĂ©riel. NikolaĂŻ Miaskovsky eĂ»t sans doute pu faire sienne la phrase de Pessoa, son contemporain : « Je suis un homme pour qui le monde extĂ©rieur est une rĂ©alitĂ© intĂ©rieure ».
Pascal Ianco
(1) Souvenons-nous que 1948 est Ă©galement lâannĂ©e de lâaffaire Lyssenko, qui est lâexact pendant, dans le domaine scientifique, des persĂ©cutions lancĂ©es contre les compositeurs. Dans toute lâURSS, qui littĂ©ralement « marche sur la tĂȘte », cette annĂ©e 1948 voit la substitution du mensonge Ă la rĂ©alitĂ©.
(2) Dies Irae quâon retrouvera dix ans plus tard dans la SixiĂšme Symphonie.
La presse en parle
« Ce rĂ©cital prĂ©sente des partitions hĂ©las peu jouĂ©es et peu enregistrĂ©es. Moins immĂ©diatement sĂ©duisantes sur le plan rythmique et harmonique que celles de Prokofiev et de Scriabine, moins tenues par le flot mĂ©lodieux comme chez Medtner, les sonates de Miaskovski n’en sont pas moins passionnantes. Leur tempĂ©rament Ă©pique, violemment exacerbĂ©, ne fait pas mystĂšre de diverses influences : Rachmaninov et Scriabine, essentiellement, mais aussi Debussy et parfois Chopin, voire Schumann dans la DeuxiĂšme Sonate. Lydia Jardon nous en offre une lecture Ă la fois acĂ©rĂ©e et trĂšs expressive. Elle prĂ©serve autant la lisibilitĂ© de l’Ă©criture qu’elle en montre la dimension narrative. Son jeu n’a rien d’impulsif et elle domine de maniĂšre impressionnante le cĂŽtĂ© fantasque et motorique de ces pages. Il serait en effet si facile de ne restituer qu’une succession d’atmosphĂšres allant de l’abattement Ă la rage. Cette cohĂ©rence du propos montre l’originalitĂ© de la musique de Miaskovski et surtout le traitement si personnel du son. La pianiste privilĂ©gie en effet la matiĂšre sonore, les effets de rĂ©sonance, le silence aprĂšs le paroxysme d’accords. La discographie s’enrichit d’une version moderne de rĂ©fĂ©rence qui supplante les lectures de McLachIan et HegedĂŒs. En effet, Lydia Jardon obtient l’Ă©quilibre entre passion et luciditĂ©, Ă©quilibre que l’on espĂ©rait retrouver depuis les tĂ©moignages de Richter dans la Sonate n°3 (RCA, Pyramid). Un seul regret pour ce disque : une durĂ©e un peu trop courte. »
Classica, Octobre 2009, Stéphane Friédérich
« Le rĂ©pertoire russe rĂ©ussit Ă Lydia Jardon ! AprĂšs les Sonates de Rachmaninov et l’intĂ©grale des Ătudes de Scriabine (Ar RĂ©-SĂ©), elle s’attaque Ă un compositeur infiniment moins connu et documentĂ©. Certes, ses vingt-sept symphonies ont Ă©tĂ© gravĂ©es sous la baguette de Svetlanov (Warner, 16 CD), et ses opus chambristes et concertants n’ont pas trop eu Ă se plaindre. Mais hormis la Sonate n°3 par Richter, la discographie du piano miaskovskien demeurait bien dĂ©sertique, jusqu’Ă la parution de cette version des trois sonates les plus intĂ©ressantes parmi les neuf que lĂšgue l’auteur â elles datent respectivement de 1912, 1920 et 1924. DĂ©fi technique incessant, cette musique ne cĂšde pourtant jamais Ă l’extĂ©rioritĂ© et met son dĂ©ferlement virtuose au service d’une Ă©nergie sombre et contenue. HantĂ©e par le thĂšme du Dies irae, la Sonate n°2 qui ouvre le programme donne le ton. Trahissant l’influence de Scriabine, elle adopte, ainsi que la suivante, la construction monolithique propre aux Sonates n°s 5 Ă 10 du PoĂšte de l’extase. Cependant, ces pages furieuses et personnelles font entendre autre chose qu’un Ă©pigone. Moins de soufre, plus de rage, pourrait-on dire. Lydia Jardon les porte avec un souffle et une palette sonore d’une richesse et d’une densitĂ© remarquables. Avec la Sonate n°4, Miaskovski adopte une construction plus classique, quoique le caractĂšre demeure profondĂ©ment « irato », pour reprendre le qualificatif accolĂ© Ă l’Allegro initial. Son chef-d’Ćuvre pianistique ? Peut-ĂȘtre. On admire en tout cas l’intelligence avec laquelle l’interprĂšte y conjugue propos courroucĂ© et souci d’Ă©quilibre. »
Diapason, Octobre 2009, Alain Cochard
« Miaskovsky retrouvé Lydia Jardon en rĂ©cital Ă lâAthĂ©nĂ©e
Lydia Jardon ? Ne comptez pas sur elle pour faire les choses comme les autres ! CrĂ©er un festival ? Lorsque lâidĂ©e lui vint il y a une dizaine dâannĂ©es, câest sur lâĂle dâOuessant que la pianiste dĂ©cida de sâinstaller. Les moqueurs de moquĂšrent… « BoostĂ©es » par lâintelligente mutualisation des forces Ă laquelle les festivals bretons procĂšdent depuis cet Ă©tĂ©, les Rencontres de « Musiciennes Ă Ouessant » sont aujourdâhui en passe de devenir lâune des destinations les plus « tendance » de la cĂŽte Ouest.
Choisir du rĂ©pertoire ? Lydia Jardon nâaime rien tant que le dĂ©fi et, souvent, la raretĂ©. AprĂšs de trĂšs beaux enregistrements des Goyescas de Granados et des deux Sonates de Rachmaninov, la pianiste a plus rĂ©cemment signĂ© une intĂ©grale de rĂ©fĂ©rence des Etudes de Scriabine. Lâunivers de la musique russe convient idĂ©alement Ă lâardeur et Ă la riche palette de couleurs de son jeu.
Lorsque Pascal Ianco, aux Editions du Chant du Monde(1), a communiquĂ© Ă Lydia Jardon les partitions des Sonates de Nikolai Miaskovsky (1881-1950), le coup de foudre sâest produit entre lâinterprĂšte et la musique dâun immense compositeur trop oubliĂ©. De son collĂšgue et grand ami â qui, comme lui ou Chostakovitch, fit les frais du « tir groupĂ© » du sinistre camarade Jdanov en janvier 1948 â Prokofiev disait : « Tout ce quâa Ă©crit Miaskovsky est profondĂ©ment personnel et dâune intuition psychologique admirable. Cette musique nâest pas de celles qui deviennent rapidement populaires. » Les Ćuvres de Miaskovsky furent assez souvent jouĂ©es en Europe occidentale et aux Etats-Unis durant lâentre-deux-guerres, mais depuis on a hĂ©las perdu de vue un compositeur qui mĂ©rite franchement dâĂȘtre (re)dĂ©couvert.
Le maestro Evgeny Svetlanov a beaucoup fait pour lui et lâon dispose dâune intĂ©grale des 27 Symphonies sous sa fervente baguette (16 CD Warner). DĂ©sormais on rangera tout prĂšs de ce volumineux coffret le rĂ©cital Miaskovsky de Lydia Jardon(2). Avec les Sonates n° 2 et 3 â encore post-scriabiniennes par bien des aspects â et la 4Ăšme, il constitue en effet le plus bel enregistrement de piano miaskovskien disponible aujourdâhui et prĂ©sente de surcroĂźt les trois sonates les plus sĂ©duisantes du compositeur parmi les neuf quâil lĂšgue.
Exceptionnellement abouti, ce CD est l’un des Ă©vĂ©nements discographiques de la rentrĂ©e et mĂ©ritait dâĂȘtre accompagnĂ© dâun rĂ©cital. Lydia Jardon sera sur la scĂšne du Théùtre de lâAthĂ©nĂ©e, lundi 28 septembre dans un programme Beethoven-Miaskovsky oĂč la Sonate n° 4 du Russe sera mise en regard de la Sonate n° 31, tandis que la brĂ»lante Sonate n° 2, hantĂ©e par le thĂšme du Dies irae, rĂ©pondra Ă la fiĂšvre de lâAppassionata. Un programme dont la cohĂ©rence et lâĂ©quilibre ne font que renforcer lâattrait. »
(1) Pour en savoir plus sur Miaskovsky et nombre dâautres compositeurs, russes mais pas seulement, on consultera avec profit le site des Editions du Chant du Monde : www.chantdumonde.com/fr/editions
(2) Un récital disponible comme tous les enregistrements de Lydia Jardon sous le label AR RE-SE (dist. Codaex) www.lydiajardon.com/discographie_fr.html
concertclassic.com, Septembre 2009, Alain Cochard
« AprĂšs la publication des Sonates 3 et 4 pour piano de NikolaĂŻ Miaskovsky (cf. notre Lettre dâinformation, mai 2009), ce CD comprenant, en outre, la deuxiĂšme, vient Ă point nommĂ©, pour permettre aux interprĂštes de bĂ©nĂ©ficier des critĂšres dâinterprĂ©tation retenus par Lydia Jardon. Le compositeur, nĂ© en 1881 â lâannĂ©e de la mort du tsar Alexandre II â, mobilisĂ© en 1914, sera, aprĂšs la chute du tsar, au service de lâĂ©tat-major. Ce nâest quâen 1921 quâil sera professeur au Conservatoire du Moscou ; en 1948, il subira les persĂ©cutions et les contraintes de lâUnion des compositeurs. Ses Sonates n°2, en fa# mineur (op.13) et n°3, en ut mineur (op.19), en un seul mouvement enchaĂźnĂ©, ne bĂ©nĂ©ficient pas dâun mouvement lent central, exploitent des registres extrĂȘmes et tournent parfois Ă lâobsession, avec citations discrĂštes du thĂšme du Dies irae (Sonate n°2), spĂ©culant sur les contrastes de mouvements Lento et Allegro. Georges Hallfa les rattache Ă une « perspective spiritualiste sur lâHomme nouveau, que lâidĂ©ologie communiste a considĂ©rĂ© sous lâangle matĂ©riel ». La Sonate n°4, en ut mineur (op.27), est tripartite : AllegroâŠ, Andante⊠et Allegro con brio. LâĂ©minente pianiste se joue de tous les traquenards de ces Sonates, grĂące Ă une technique et une Ă©nergie Ă toute Ă©preuve. »
L’Education musicale, NumĂ©ro 32, Octobre 2009
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